photos ci dessous par Harvey Morgan , président de l'association AVEC 33 Allons Voir l'Eglise d'a côté en Gironde.
Eglise d'Ayguemorte-les-Graves par Martine Rancèze( texte paru dans un bulletin municipal ; 2004 ? )
La plus ancienne trace de la paroisse d'Ayguemorte remonte à 1339-1340, date à laquelle elle figure sur les registres des comptes du diocèse de Bordeaux: ces années là, Pierre de Faugières « paroissien de Coma » est donateur de fonds.
En 1398, « Saint-Clémens de Coma à Ayguesmortes in archipresbyteratu Sarnensi», (domaine de l'archiprêtre de Cernès) est une des paroisses du diocèse de Bordeaux qui servent à l'établissement des « quartières ». « prestations en argent ou en grains, auxquelles les églises paroissiales du diocèse de Bordeaux avaient de tout temps été assujetties envers les archevêques ». À cette époque, Saint-Clément de Coma est donc une
paroisse à part entière. La petite église située tout près ou au milieu du cimetière actuel, vit bien, et ce jusque vers 1563, date à laquelle on recense dix paroisses de moins dans le secteur de l'archiprêtre de Cernès : Saint-Clément de Coma à Ayguemorte et d'autres, deviennent-elles des annexes de paroisses plus peuplées ou plus actives, ou tout simplement nouveau découpage administratif du diocèse? La question peut être posée. Dans tous les cas, Saint Clément de Coma à Ayguemorte devient une annexe de Saint-Michel de Beautiran.
Comme toutes les églises de la congrégation de La Brède, en 1632, notre église recevra la visite de l'archevêque qui contrôle les achats d'ornements et ordonne l'exécution de réparations et travaux. Les vérifications sont effectuées régulièrement, et l'archiprêtre de Cernès qui sillonne son territoire, note ses remarques et publie ses ordonnances qu'il faudra irrémédiablement exécuter.
Somme toute, les affaires religieuses, et les affaires tout court marchent bien: transactions, répartition des charges et bénéfices sont bien cadrées par l'autorité, et on peut se demander pour quelles raisons le curé d'Ayguemorte fut agressé en 1637, lors d'un « convoi funèbre »... Une paroisse si paisible! Qui entretient et enrichit son église: Dubos, le sculpteur de Bordeaux reçoit 105 livres, et Montus le doreur, 109 livres et 6 deniers pour la sculpture et la dorure du tabernacle en 1701. Quelques années auparavant, entre 1689 et 1691, la toiture a été rénovée moyennant 15 sols la journée du couvreur!
Et puis, il faut compter l'achat de l'huile, du savon, des cierges, d'une « clochette» fabriquée par le fondeur Oudry en 1743. Et enfin les honoraires du sacristain, pour lesquels les paroissiens étaient sollicités en fonction de leur fortune.
Il faut dire que le torchon brûle entre le curé de Beautiran et celui d'Ayguemorte. Un procès les oppose, et bien que les bénéfices aient été répartis dès 1633 par le Sénéchal de Guienne, Monseigneur de Lussan, archevêque de Bordeaux Primat d'Aquitaine reçoit, en 1747, les doléances et plaintes de François Troupel, prêtre curé titulaire de la paroisse de Saint-Clément d'Ayguemorte à l'encontre du « Sieur Rabier » prêtre curé titulaire de la paroisse de Saint-Michel de Beautiran, qui ne respectait pas les ordonnances de 1633.
Là-dessus, vient la grêle de 1758 qui a enlevé les trois quarts des récoltes. Les revenus des paroisses s'en ressentent... bien moins cependant que des évènements de 1789 à 1793 et des troubles qui les accompagnent: prêtres réfractaires inquiétés, prêtres constitutionnels critiqués, églises détournées de leur vocation première ...
L'église vieillit, se détériore peu à peu. Il faudrait changer le carrelage du sol. Pour cela, 211 francs sont récoltés dans les années 1850-1855. Pourtant, le premier magistrat de l'époque hésite, car la population, 211 habitants en 1855, est groupée au village de Mouniche, et l'église en est éloignée. De plus, une place publique s'est dessinée, et monsieur le maire verrait bien l'église en son milieu. Le 12 août 1851, il écrit au préfet pour l'en informer, et connaître les formalités à accomplir. « C'est au moyen de souscriptions volontaires écrit-il, qu'on veut parvenir à réunir la somme nécessaire à cette construction ». Dans un même temps, « Napoléon, par la grâce de Dieu, et la volonté nationale Empereur des Français, décrète que la commune d'Ayguemorte est distraite de la succursale de Beautiran, et réunie pour le culte à celle de l'Isle Saint-Georges ». Le décret est daté du 10 mars 1855.
Hélas, dès le 13 février 1856, l’église d’Ayguemorte devient ‘ Chapelle de secours », ce qui ne convenait pas à tout le monde » dit le maire, qui ne souhaite plus lancer une souscription volontaire pour payer le curé 200 francs l'an, pour une messe le dimanche, tout en craignant que « s’ils ne sont pas payés, ces messieurs ne viendront pas » ! Il demande alors au préfet de faire un rôle supplémentaire, -comprenons de débloquer des crédits supplémentaires- pour subvenir aux sommes dues. Nous sommes en 1856, et le préfet, représentant l'administration de l'instruction et des cultes, demande au maire de faire voter au conseil municipal une imposition extraordinaire pour le traitement du desservant!
Le temps passe, et si Ayguemorte vit ses affaires cultuelles avec l’Isle Saint-Georges, l'église, elle, est toujours à la même place. Cependant, le dossier a avancé, et le 13 juin 1857, le préfet reçoit un courrier du maire, accompagné d'une délibération du conseil municipal décidant la reconstruction sur « la place publique ». De délibérations en tractations, le conseil municipal est autorisé par arrêté préfectoral à aliéner aux enchères publiques, deux terrains appartenant à la commune, pour pouvoir reconstruire l'église sur son nouvel emplacement. Ce qui sera fait dans l'année 1858, financé par diverses sources: souscriptions, dons et loteries, ventes des
terrains, et... imposition des administrés. Il est vrai que la facture est lourde, 9722,06 francs de l'époque. Pourtant les pierres de la vieille église sont récupérées ainsi que le mobilier ornemental. Tout sera réglé en 1859. Il faut dire que M. de Brommer, le maire et le curé Roborel, celui –là même qui a fait reconstruire l’église de l’Isle Saint-Georges en 1856, après s'être engagés au règlement des sommes prévues, avaient effectué de leurs deniers, un dépôt de garantie de 460 francs.
Il a fallu une petite année pour que la nouvelle église dresse son clocher au milieu de la place publique. Un beau vitrail domine le chœur, et ses ouvertures nombreuses en font un lieu bien éclairé, où les paroissiens se rassemblent pour la messe du dimanche et les fêtes religieuses. Des platanes bien feuillus ombragent son parvis, et il fait bon s'y retrouver.
Le temps passe. L'Église se sépare douloureusement de l'État. La grande guerre emporte des enfants du village.
Humidité, manque de chauffage, la lèpre gagne le site. Une délibération du conseil municipal du 9 décembre 1930 décide d'effectuer des travaux. Il faudra compter 2998 francs de frais.
Coquette et remise à neuf, l’église Saint-Clément de Coma passe la guerre de 1940 et l'après-guerre. Dès 1978, alerte est donnée, l'église est malade. 130 ans, c'est peu pour une bâtisse de cette nature; mais de nouvelles actions s'imposent.
Rongée par les termites, elle nécessite des travaux importants: éradication des insectes, rénovation de la toiture et de la charpente, isolation et réfection du plafond, mise en place du chauffage au gaz. Pendant quelques mois, elle ferme ses portes. Travaux obligent.
Depuis, des interventions diverses: rénovation et nettoyage des vitraux, amélioration du système de chauffage, fermetures, achat de bancs, la maintiennent en l'état d'accueillir ses fidèles pour les offices religieux, ou des concerts.
Après ces quelques recherches, deux interrogations d'inégale importance, s'imposent à ma réflexion:
Pourquoi avoir abattu tous les beaux arbres sous lesquels se tenaient les palabres dominicales et les rencontres des belles soirées d'été?
Que reste-t-il de la première édification romane à la gloire de saint Clément qui fut pape de l'an 88 à l'an 97 ? Elle avait traversé 500 ans de notre histoire, accueilli les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle et probablement vu passer les compagnies anglaises vendangeant l'Aquitaine quand celle-ci était anglaise. Témoin des moments heureux et malheureux des milliers de fidèles qui s'y étaient recueillis, elle tenait en ses murs plus de la connaissance de la vie de ce village que tous les livres à notre disposition. Sa démolition a-t-elle détruit à jamais cette mémoire des pierres qui fait la mémoire des hommes?
Martine Rancèze
Sources: Archives départementales & archives communales.
P S : Des travaux de recherche effectués sur le cimetière en 1984 ont mis à jour quelques fragments de sarcophages mérovingiens, de tuiles et monnaies attestant d'une occupation du site dès le III° siècle.